Les huîtres : nées en pleine mer ou triploïdes ?

Valérie vient vendre ses huîtres sur le marché de Brioude tous les samedis matins, de mi-septembre à mi-mai. Avec son bel accent de la Méditerranée, le sourire, les huîtres naturelles qu'elle propose sont savoureuses. Elle les connaît bien : avec son mari ostréiculteur de père en fils, ils les voient naître et les élèvent dans l'Etang de Thau.

Chaque semaine, quand c'est la saison, ils remontent en camion l'A75 et apportent ainsi un peu de mer dans nos montagnes. Heureuse de pouvoir mener cette vie au grand air, sur le bassin, aux côtés de son homme, Valérie défend ce produit naturel, respectueux de la nature et de l'environnement. Elle se bat contre les maladies et le réchauffement des eaux qui attaquent leur production, et contre les triploïdes, ces huîtres génétiquement modifiées qui envahissent nos littoraux et nos assiettes dans le plus grand des silences. 

Les triploïdes, ces huîtres stériles nées en laboratoire, introduites massivement sur le marché mondial en 2008, représentent aujourd'hui plus de la moitié des huîtres que nous consommons. Les naissains - bébés huîtres - triploïdes naissent d'une maman huître "normale" dotée de 2 chromosomes X et d'un papa huître artificiellement porteur de 4 chromosomes X. Avec ses 3 chromosomes X, la triploïde est stérile. Gloutonne, elles grossit plus vite que les autres, résiste mieux aux maladies. Rien dans l'assiette ne la différencie de l'huître naturelle : la législation n'oblige ni les producteurs, ni les vendeurs à afficher le mode de production des huîtres auprès des consommateurs. En revanche, cette même législation défend formellement aux producteurs traditionnels d'afficher "produit naturel" sur leurs étals. Fédérés en association, ils affichent donc pour se distinguer d'un logo bleu "ostréiculteur traditionnel, huîtres nées en mer". 

Comme les agriculteurs avec les semences stériles, les triploïdes rendent les producteurs d'huîtres dépendants des écloseries, ces sociétés qui produisent en masse les naissains qu'il faut racheter d'une saison à l'autre, avant de les faire grandir dans les exploitations, en pleine mer. Rappelons au passage que le Français est le plus gros consommateur d'huîtres au monde. Et voilà le produit parfait pour faire tourner à plein régime ce marché juteux, toute l'année, sans se soucier des périodes de reproduction qui rendent les huîtres laiteuses, d'une éventuelle stérilisation de toutes les espèces en pleine mer, ni des effets de cette production massive sur l'environnement et les ressources naturelles. 

La concurrence est rude pour les producteurs traditionnels qui défendent des valeurs écologiques, un savoir faire ancestral, un produit de qualité et de saison. Ils sont confrontés au fil des ans, avec le réchauffement climatique, à un taux de mortalité des naissains et des huîtres toujours plus grand : virus, bactéries, ... interactions avec les triploïdes ? Au fil du temps, on constate que les triploïdes se fragilisent, qu'elles meurent plus qu'avant, plus tôt, et qu'elles ont tendance à devenir laiteuses. 

En France, IFREMER, l'institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, cet établissement public lié au ministère de l'écologie et de l'environnement,  est à la fois le seul habilité à produire dans son laboratoire ces huîtres dotées de 4 chromosomes X et à surveiller la bonne santé de nos littoraux en lien avec leur exploitation. Ce même institut vend aux écloseries les huîtres dotées de 4 chromosomes X . Une seule d'entre elle, mâle reproducteur, vaut environ 2000 € pièce ... 

Le vendredi midi, avec son mari,  Valérie charge les huîtres dans le camion. En route, son mari la dépose sur un premier point de vente à Saint-Chély-d'Apcher en Lozère alors qu'il part de son côté à Saint-Flour vendre dans le Cantal. Vendredi soir, il revient la chercher, ils rechargent le matériel et repartent sur Brioude en Haute-Loire où ils passent la nuit.
Samedi, Place du Postel à Brioude, au petit jour. Son mari parti sur un autre marché, Valérie monte seule son stand. Structures métal, bâches, caisses d'huîtres, balance électronique, petite caisse, étal, tréteaux, poids en fonte, parka, chaussures isolantes. Sur la place du marché, c'est le premier stand dressé et prêt pour la vente. Rien n'oblige les vendeurs d'huîtres à indiquer aux consommateurs s'ils achètent des triploïdes ou pas, mais Valérie en parle, avec passion.

Pour en savoir plus :
L'huître triploïde, authentiquement artificielle " - La Laverie Production - 2015 : http://huitretriploide.com/documentaire/
"Les huîtres, bientôt la fin ? Grand Angle production - 2015 : 
https://www.youtube.com/watch?v=yCe4akQDKXE

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