Intérieur cuir - Une histoire d'amour tendue entre la ville, la mer et le ciel # Nouvelle (10 pages)

 



Paris, nouvelle année. Sur une feuille elle écrit : sortir moins, écrire plus, tomber amoureuse, quitter Paris – (dessiner).

 

Ses amis, une bande de professeurs déjantés, ont un projet sérieux, une revue en ligne dédiée à la musique électronique. Des textes soignés, décalés, un design stylé. Ils lui proposent de collaborer. Il s’agira d’écrire des articles, c’est-à-dire sortir et écrire des articles. Elle refuse. Il y aura des interviews, des DJ à rencontrer. Elle accepte.

 

*

 

Le Havre, vendredi soir, pluie. C’est l’hiver, déjà la nuit. Il quitte l’agence en trombe, saute dans le train. Mallette à roulettes, disques, casquette, habillé tout en noir, lunettes de soleil modèle griffé, aviateur. Ce soir, il mixe à Paris. Il a froid, pas assez couvert. Trac.

 

Soirée de lancement de la revue. Elle choisit de s’habiller avec des couleurs claires, dans les tons ivoire, rose poudré. Il y a du monde, le bar tourne, le niveau sonore monte.

 

Elle se présente, lui tend la main, l’embrasse en même temps sur les joues, partagée entre ses réflexes de travail et de soirées. Elle l’accompagne au bar, pour lui la boisson est offerte, se tourne vers d’autres qui viennent d’arriver, à plus tard.

 

Elle écoute son set, ferme les yeux. Calée sur le son, elle se retire, plonge, nage, respire, oublie tout le reste. Ouverture, décollage. Ses mains, ses bras, son ventre, ses jambes, son esprit se déplient. La musique et la danse, cocktail imparable pour s’envoler, un truc découvert dans les raves, la transe, jamais pu s’en passer. Premier, deuxième souffle, ça peut durer des heures si le DJ est à la hauteur.

 

Sa poitrine se tend, si menue, presque rien sous la soie de son chemisier, le tissu glisse à un moment comme ça, sur le côté. Épaules fines. Musclée.

 

Ils se retrouvent aux toilettes, devant le lavabo, le miroir. Elle, les joues roses d’avoir dansé, lui en sueur d’avoir mixé. Il se penche sur elle, d’un coup, lui roule une pelle. Elle se dit qu’elle ne l’avait pas vu venir celui-là. Son baiser salé, il sait embrasser, elle se laisse faire. Voyons.

 

Elle ne le trouve pas franchement beau, mais il a quelque chose qui lui plaît. Il est grand, ça tombe bien elle déteste sortir avec des garçons plus petits qu’elle. De belles mains soignées. Un rire un peu grinçant qui le secoue tout entier, ses yeux clairs s’allument alors et étincellent, verts.

 

La musique c’est pour le fun. Dans la vie il est architecte, au Havre.

 

Elle, elle a étudié un peu Perret en histoire de l’art alors Le Havre, elle voit à peu près comment et où c’est, mais elle n’y est jamais allée. Là-bas, au bout de la Seine, une ville portuaire. La Normandie. La Manche. La mer, les plages de son enfance comme celles de Dieppe où elle courait avec son père. Les marées, le roulis des galets, le silex frappé et l’odeur de brûlé, l’eau troublée par la craie, la pluie, les percées de soleil, une lumière unique, poisson frais et crustacés, bains de mer ravigotants, glaces et frites sur la plage. Le Havre, une ville détruite, reconstruite. Le Havre, il y a ceux qui adorent et ceux qui détestent.

 

Ils boivent. Elle parle, il la mange des yeux.

 

Fin de soirée, chez elle. Dans son appartement, elle a déjà amené des garçons, pas beaucoup, une nuit, pas plus. C’est Paris, c’est petit, au pied de Montmartre, une cour calme en plein Barbès. Ici elle a pris le temps de se remettre d’une rupture, une longue histoire d’amour explosée sur un malentendu, une histoire d’enfant attendu en vain et de silence. Vivre seule, au début elle a cru qu’elle allait en crever, surtout le dimanche.

 

Elle travaille à deux pas, dans une agence installée dans une belle maison de la rue qui monte sur le flanc de la colline. On l’envoie sur des événements aux quatre coins du monde. Palaces, souci du détail, une certaine idée du beau, toujours la même. Stress, argent, sourires en toutes circonstances engloutis par une poignée d’adultes pourris-gâtés. En échange elle gagne sa vie, voyage, ne s’ennuie jamais, parle anglais, s’imprègne de lumières glanées dans les endroits magnifiques que l’industrie du luxe s’approprie inexorablement.

 

Il la déshabille, s’étonne de ne pas la trouver aussi mince qu’il aurait pu le penser. Des formes juste là où il faut, parfaites, irrésistibles. Il l’explore, lui demande si elle a envie d’un truc en particulier.

 

L’orgasme vient sans prévenir. De surprise elle crie. Il jouit, éclate de rire.

 

Stylo noir, papier blanc. Il s’excuse d’avance pour les fautes, il en a toujours fait, en fera toujours. Il lui écrit. Avant d’aller plus loin, peut-être, ensemble, il faut qu’elle sache qu’il est marié. En instance de divorce, séparé, mais marié.  Au Havre, il loue un appartement où il vit seul. De chez lui on voit la mer. Il a signé le bail hier, mais ça il ne l’écrit pas. Il hésite à en dire plus. Par exemple, il pense à elle tout le temps depuis qu’ils se sont rencontrés, un état d’excitation incroyable, il n’a jamais connu ça avant elle. Des années qu’il ne se passe plus rien au lit avec sa femme, une personne formidable par ailleurs, son amie, son âme sœur. Il s’abstient, ferme l’enveloppe, lèche le beau papier, le goût de la colle, poisson séché, le tranchant de la feuille sur le bout de la langue. Pluie. Dans la rue il court, lâche la lettre au fond de la boîte. De l’autre côté de la rue la mer se déchaîne.

 

Le dimanche suivant, sans nouvelle, il prend le train. Gare Saint-Lazare, sur le quai il l’appelle, l’invite à déjeuner.  Elle sort d’une semaine chargée, un gros projet en Islande à boucler, doublée d’une grosse soirée la veille. Elle se lève. Ils ont juste le temps de boire un café avant qu’il ne reparte prendre son train.  Raide sur sa petite chaise bistrot il lui demande si elle a lu sa lettre. Oui, elle était contente qu’on lui écrive, c’est si rare, elle le remercie. A-t-elle des questions ? Non. Est-ce que ça la gêne qu’il soit marié ? Non. Un mec à plein temps, ça ne l’intéresse pas. Pas le temps, pas prête. Un amant à deux heures de Paris, au bord de la mer, marié ou pas, c’est juste parfait. Elle gère sa vie, il gère la sienne. Et puis, si elle comprend bien, il est séparé, il a son appartement, la situation semble claire. En tout cas, pour elle ça va. Dit comme ça, ça paraît simple en effet.  Il se lève, contourne la table, s’assied à côté d’elle sur la banquette. Sky rouge tendu. Il prend son visage dans ses mains, l’embrasse longtemps. C’est bon.

 

*

 

Ils se retrouvent le week-end à Paris, quand c’est possible, quand elle est là. Ce qu’ils préfèrent c’est faire l’amour, écouter de la musique, cuisiner, faire l’amour encore.  

 

Au printemps, il lui propose de venir passer un week-end chez lui. Voir la mer, découvrir Le Havre. Avec joie elle accepte immédiatement. Il vient la chercher en voiture à la gare, un coupé sport, la conduit chez lui directement. Front de mer, vue sur la jetée. Les murs de l’appartement si fins, c’est grand, connecté au ciel. Pur style Auguste Perret, l’architecte, un addict du béton, a reconstruit la ville après la guerre.  Dans la deuxième chambre, des machines, des enceintes, des claviers, des synthétiseurs collectors, tous ses disques, son home-studio. 

 

Ils ont faim, ouvrent une bouteille, cuisinent, se racontent, aimantés. Pause, sexe. Il a fait des courses comme ça ils n’ont pas à sortir.  

 

Un rayon de soleil se glisse entre les nuages. Elle contemple l’horizon, le ciel se confond avec la mer. Elle observe fascinée le trafic des goélands nichés sur le toit-terrasse d’en face. Il explique que les services de la mairie stérilisent les volatiles, des nuisibles.

 

La ville et tous ses petits immeubles de béton bien propres et rangés, un jeu de construction d’où émerge un phare, l’église qu’elle aimerait bien visiter. Il pointe du doigt l’immeuble où il vivait avec sa femme, au bord d’un bassin, ça a l’air top, il dit que l’appartement vaut un paquet de blé, sa femme y vit encore avec leurs deux chats.

 

Dans l’entrée, sur le guéridon à côté du téléphone, il y a une lettre du tribunal. Le divorce en instance, la procédure est en cours, il faut attendre.

 

Le vent s’engouffre partout en sifflant, il baisse tous les stores pour atténuer les courants d’air.  Elle allume la lumière mais se priver de la vue sur la ville, les bassins, la mer, le coucher du soleil, quand même, c’est dommage.

 

Grand soleil, ciel bleu, lumière éclatante. Ils vont faire un tour de vélo sur les docks. Il lui demande de rouler loin devant. Ils doivent se cacher, ne pas se montrer ensemble tant qu’il n’est pas divorcé. Le Havre, un village.

 

Elle roule, les rues se croisent à angles droits, disproportionnées par rapport à la taille des voitures et des habitants. C’est comme dans un tableau de Hopper, beaucoup de vide partout. La couleur du ciel, la mer, l’odeur du large, les embruns, les cris des goélands lui rappellent son enfance, les vacances à Dieppe. Elle respire, se sent bien.

 

Il aime prendre le train, venir à Paris, faire du shopping, l’habiller. Il lui offre un Ipod plein de musique, les mêmes lunettes que lui, des fleurs, du cuir, de la soie. Au restaurant, il commande trop de plats, veut tout goûter. Choisir c’est compliqué. Ça la fait rire, elle aime son insatiable gourmandise et il aime quand elle rit.

 

Elle le présente à ses amis, ils sortent en soirées. Ici, personne ne sait qu’il est marié, ils n’en parlent pas. Elle écoute en boucle les morceaux qu’il a composés pour elle, écrit un article sur lui.

 

Au réveil, sous la douche, dans son petit appartement, et ailleurs, partout, la nuit, le jour, il se glisse en elle. Il oublie tout le reste. Volupté totale.

 

Tenue bien serrée dans ses bras, elle franchit des limites. Dedans, dehors, elle agrandit la surface de son corps, découvre de nouveaux territoires, ça la laisse sans souffle et sans voix. Elle sort moins.

 

Elle aime préparer son sac, prendre le train, quitter Paris, filer au Havre.

 

Quand elle est là, il scanne la rue, les passants. Il redoute de croiser un collègue, des amis, sa femme. Il accélère le pas, vérifie qu’elle reste loin.

 

Ils prennent le coupé sport intérieur cuir, sortent de la ville. Il pleut, un crachin régulier, pénétrant. Ils marchent à flanc de falaises. Brouillard, corne de brume, le bruit des vagues, ça caille.

 

Elle s’achète un carnet, s’installe face au musée, scrute la sculpture trouée. Il pleut, c’est beau quand même mais ça fait longtemps qu’elle n’a pas dessiné, c’est difficile. Elle pousse la porte du musée, passe de salle en salle, admire le travail de tous ces peintres qui ont su capter la lumière si particulière et changeante du coin. C’est magnifique. Il l’appelle sur son téléphone, vient la chercher. Son sourcil est froncé, il a faim. Elle a oublié l’heure.

 

De retour à l’appartement, il regarde son esquisse, rigole, lui explique la perspective, corrige son dessin. Les lignes, le point de fuite, il dit regarde c’est facile. Sur le carnet, il fait des traits dans tous les sens, redresse, aligne les trucs de travers. Dommage, elle trouvait le côté bancal de son dessin intéressant. Maintenant il faut qu’elle parte vite, son train va partir, vite, ça passe trop vite.

 

Elle à Paris, lui au Havre, en semaine il l’appelle tous les soirs. Elle aime la simplicité avec laquelle il lui parle cette petite maison avec potager qu’il dessine pour des gens modestes et de ce grand projet industriel plein de contraintes techniques. Concevoir des lieux de vie, architecte, elle trouve que c’est un joli métier.

 

Il travaille beaucoup, le week-end aussi, souvent. Seule elle va voir l’église qui se dresse comme un phare sur la ville. Là encore Auguste Perret, l’architecte super star. Ciment, gravier, sable, acier. La beauté vertigineuse de l’église, le béton incrusté de lumière.

 

C’est l’été, les vacances. Il dit à sa femme qu’il part avec des copains, de nouveaux amis parisiens qu’elle ne connaît pas.

 

Dans le coupé sport, les bagages prennent toute la place. Accrocher les vélos sur la précieuse carrosserie c’est toute une histoire, il s’énerve. Petite maison louée face à la mer, lui et elle, tous les deux, une semaine à peine. Elle va se baigner tous les jours, l’eau froide elle a l’habitude, petite elle a appris à nager à Dieppe avec son père. L’eau est bien trop froide pour lui, de la plage il la regarde en buvant des bières.

 

A la rentrée, il invite sa femme au restaurant, lui demande si elle a rencontré quelqu’un. Si elle répond oui, il se suicide là sous ses yeux, avale le couteau en entier. Non, tu sais bien que non. Il respire. Elle le connaît par cœur, lui retourne la question. Il s’est préparé avant leur rendez-vous, il s’est entraîné à dire la vérité dans la glace en se rasant. Arrêter de mentir, parler de la parisienne. Dire qu’elle cherche du travail au Havre, qu’elle va venir bientôt s’installer ici, avec lui. Il répond non personne, un coup d’un soir rien de sérieux. Silence. Sa femme baisse le nez, se concentre sur le menu. Cette marbrure qui apparaît dans son cou, le stress, elle déglutit. Voilà, elle encaisse. Sa femme lui sourit déjà, lui pardonne toujours, même ses mensonges, ça le bouleverse. Ils boivent un verre puis deux, se détendent, se retrouvent. Il remarque une nouvelle petite ride au coin de ses lèvres. Bientôt il sera trop tard pour lui faire l’enfant qu’elle désire. Concevoir des gratte-ciels, pas de problème. Devenir père, ça le terrorise. Au dessert, ils décident de mettre la procédure de divorce en stand-by.

 

Seul chez lui il essaie de réparer son vieux synthétiseur. Fer-à-souder, fil de cuivre, ça ne marche pas. Ses chats lui manquent, sa femme lui manque, la parisienne restée ce week-end à Paris lui manque aussi. Il décapsule une bière. L’alcool, il faudrait qu’il arrête, il prend du ventre.

 

La lettre en instance se couvre de poussières sur le petit guéridon.

 

Paris sous un déluge de flotte. Elle sort, une fête avec les amis de la revue. Un photographe, très beau, la regarde longtemps. Elle rentre chez elle en taxi, envie d’être seule.

 

Il sonne chez sa femme, elle l’a invité à déjeuner. Dans leur appartement elle a fait des changements. Elle l’entraîne par la main, lui montre le nouveau salon, la cuisine ouverte, c’est mieux, plus clair, elle a fait du vide, c’est moins encombré. Dans la chambre tout de suite ils font l’amour. C’est la première fois depuis longtemps, ils recommencent. Ils reprennent tout depuis le début, autrement.

 

*

 

Samedi soir, dernier week-end de l’été. La parisienne l’appelle, ne lui laisse pas le temps de parler, elle est dans le train, elle arrive au Havre, surprise. Ils dînent chez lui, elle attend qu’il parle, elle est venue de Paris exprès.  Il boit beaucoup, elle aussi du coup, ils rigolent, parlent de tout et de rien, fument des clopes, n’importe quoi.

 

Il met de la musique, elle danse. Il la déshabille dans la cuisine, elle continue de danser. Dans la chambre, il ferme les volets, allume la lumière, une petite lampe rouge. Elle est nue, lui aussi, il la regarde, ne la lâche pas des yeux, la trouve belle, il dit regarde-moi. Elle le trouve beau, ferme les yeux. Elle dit plus fort, elle dit encore. Avec sa belle main il étouffe son cri, s’effondre.

 

Dimanche, gueule de bois, elle se lève un peu tard, le trouve dans la cuisine. Il fume une cigarette, les yeux rougis d’avoir pleuré.

 

Ce matin sa femme a sonné à l’interphone, plusieurs fois, longtemps. Il l’a vue de là-haut repartir, traverser dans l’autre sens le parking. Elle lui a laissé un message sur son téléphone. Elle avait envie de le voir, petit-déjeuner avec lui, croissants frais, elle a vu la voiture garée en bas, rappelle-moi.

 

Enfin il parle. Avec sa femme ils ont décidé de revivre ensemble. Elle, il la trouve belle, intelligente, sensuelle, elle mérite qu’on l’aime sans détour mais il est amoureux de cette femme, l’autre, la sienne, peut-être plus qu’avant, peut-être grâce à elle. C’est bizarre la vie, c’est fou. Eux deux c’était bien mais c’est terminé, il est désolé.

 

À travers la fenêtre de la cuisine, immobile totalement, elle regarde dehors, ne bouge pas. D’un côté, il y a la ville caméléon. Le génie d’Auguste Perret d’avoir mis au point ce mélange de sable et de béton, le dosage parfait pour que la surface des immeubles s’accorde en permanence avec la lumière. De l’autre côté, la mer et le ciel fondus l’un dans l’autre. Un temps magnifique, pas du tout un temps de rupture.  C’est tellement beau, elle a envie de pleurer. Elle pleure.

 

C’est difficile de ne plus le voir, de ne pas le sentir contre elle, de ne pas l’entendre. Ne plus goûter le sel de sa peau, ne plus aller au Havre.

 

L’hiver, à Dieppe. Elle descend seule à l’hôtel, celui perché sur la falaise, dans le quartier où elle venait petite en vacances.  Devine d’où je t’appelle ? Au téléphone elle décrit à son père la chapelle, le port, le pont tournant, la falaise là-bas, le front de mer, la mer qui se confond avec le ciel. Son père n’a pas réussi à revenir ici depuis que la maison de ses parents a été vendue, tous les détails de la ville et du paysage incrustés dans son cœur. A l’autre bout du fil, il tire sur sa cigarette. D’un doigt il chasse un brin de tabac de sa lèvre. Elle lui raconte Le Havre, l’architecte, la fin de l’histoire. Elle sait que son père la comprend, lui qui a fini par divorcer pour épouser sa maîtresse au bout de vingt ans. Son père, expert en double vie. Elle se tait. Une larme roule sur sa joue, elle l’essuie. Au-dessus d’elle une mouette crie. Elle aussi comprend l’histoire d’amour de son père, cet adultère, enfin.

 

*

 

 

Dieppe encore, au printemps. C’est elle là sur la photo, silhouette minuscule au milieu des galets, avec la falaise et la mer derrière. Image argentique, élégance du noir et blanc. Perspectives, dégradé de gris, elle trouve l’image infiniment belle, une réserve de couleurs invisibles. C’est le photographe qui l’a prise en photo la première fois qu’ils sont allés ensemble à Dieppe.  Ils se voient bien vivre ici s’ils décident un jour de vivre ensemble et de quitter Paris.

 

À Paris, le photographe habite un grand ensemble des années 70, au dernier étage, au quatorzième. De l’extérieur, ça ne paye pas de mine, mais de là-haut on voit tout Paris. 360 degrés, la Tour Eiffel scintille le soir, levers et couchers de soleil, les nuages, le ciel à perte de vue. Quand ils font l’amour et après, ils regardent l’horizon se faire et se défaire, les nuages, c’est beau comme à la mer. Elle aime aller chez lui.

 

Pour aller chez le photographe, elle descend à Colonel Fabien, sort son carnet, dessine cette vague blanche qui gondole au sol devant le siège du PC. Souffler dans la terre cette bulle pour intégrer la salle des meetings au siège du parti des travailleurs , une trouvaille, trop fort le gars, Oscar Niemeyer, architecte génial.

 

Arrivée là-haut chez le photographe, elle lui montre son croquis. Cette bulle blanche sur l’esplanade, on dirait un ventre rond, tout doux. Le dessin est délicat, le bâtiment derrière de travers, ça tangue un peu, comme elle quand elle marche maintenant, le ventre en avant. Le photographe sourit, l’attire contre lui, l’embrasse doucement.

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